Je m'appelle Clara Moreau et, comme beaucoup d'entre vous, j'ai longtemps pensé qu'un carnet de voyage se réduisait à une série de photos jolies alignées dans un album. Puis, année après année, j'ai appris à documenter mes déplacements d'une manière plus vivante — une méthode qui capture non seulement ce qu'on voit, mais aussi ce qu'on ressent, ce qu'on entend et ce qu'on apprend. Voici comment je compose aujourd'hui mes carnets de voyage pour qu'ils respirent et racontent une histoire.

Avant le départ : préparer sans rigidifier

J'aime préparer quelques éléments de base avant de partir, sans pourtant imposer de cadre trop strict qui tuerait la spontanéité. Mes indispensables :

  • Un carnet papier (format A5 ou cahier Moleskine) et un stylo de qualité. Le toucher du papier fait une grande part du charme.
  • Un smartphone avec une bonne app de notes vocales (j'utilise Otter pour la transcription automatique, parfois simplement l'enregistreur natif).
  • Une petite trousse de dessin — crayon, gomme, feutre noir fin — pour griffonner des cartes, des façades, des plats.
  • Un dossier photo organisé sur le cloud (Google Photos ou iCloud) pour sauvegarder et trier au fil du voyage.
  • Plutôt que de planifier chaque jour, je note trois intentions générales : ce que je veux observer, une personne ou une culture que je veux mieux comprendre, et une sensation à traquer (le parfum d'un marché, le bruit d'une gare, la texture d'un pain local). Ces intentions servent de fil rouge.

    Capturer les petites choses : techniques que j'utilise

    Ce sont souvent les détails minuscules qui rendent un carnet vivant. Voici les gestes que je répète à chaque voyage :

  • Écrire une mini-chronique quotidienne de 5 à 10 minutes avant d'aller dormir. Pas de relecture immédiate, juste l'état brut : émotion, trois images, une phrase qui me reste en tête.
  • Prendre des enregistrements sonores : un vendeur qui appelle, une rue animée, le cliquetis d'une cuisine. Ces sons me remettent instantanément dans l'ambiance quand je feuillette le carnet.
  • Noter des phrases entendues. Je les écris dans la langue locale quand je peux puis je les retraduis. Ces répliques donnent du relief aux rencontres.
  • Faire un petit croquis ou une carte esquissée. Même si je ne suis pas dessinatrice, un croquis de place ou la silhouette d'un bâtiment donne centrage et perspective.
  • Structurer sans enfermer : rubriques simples

    Pour que mes carnets restent lisibles et réutilisables, j'ai adopté des rubriques très simples, que j'aligne parfois avec de petites icônes dessinées à la main :

  • Ambiance : trois mots et un son. Ex. : "chaud, poussiéreux, jazz — mix de marchés.mp3".
  • Rencontre : prénom, rôle (vendeuse, guide, enfant), une anecdote.
  • Dégusté : plat, lieu, note de goût.
  • Astuce : un conseil pratique (horaires, application utile, détour sympa).
  • Carte : mini-plan pour retrouver l'endroit.
  • Cela me permet de relire vite et de retrouver un souvenir précis sans me perdre dans des pages trop longues.

    Photos : choisir la narration plutôt que l'accumulation

    J'ai arrêté de photographier tout et son contraire. Maintenant, je sélectionne selon trois usages :

  • Photos-décor : paysages, rues, façades, prises larges pour situer.
  • Photos-détails : mains, texture, étiquette, ticket — ce sont les "indices" du vécu.
  • Photos-portraits consentis : une personne rencontrée, souvent après un échange. Elles portent un visage humain au récit.
  • Chaque soir, je trie rapidement : je garde une dizaine de photos par jour maximum. Cela force la qualité et facilite le montage du carnet, qu'il soit papier ou numérique.

    Utiliser le numérique intelligemment

    Le numérique nous aide à enrichir le carnet sans le remplacer. Voici mes outils favoris :

    ObjectifOutils
    Sauvegarde et tri photoGoogle Photos, Apple Photos
    Transcription d'audioOtter.ai, Google Recorder
    CartographieGoogle Maps (listes), Maps.me (hors-ligne)
    Mise en page numériqueCanva, Apple Pages, Scrivener

    J'intègre parfois des QR codes collés dans le carnet papier, renvoyant vers un enregistrement audio ou une galerie en ligne. Cela transforme le carnet en objet multimédia.

    Raconter : l'art de l'anecdote et du contexte

    Une anecdote bien racontée suffit souvent à faire vibrer une page. Quand j'écris, je veille à trois choses :

  • Commencer par une image : "Il y avait un chat sur le comptoir, tigré, qui me regardait comme si j'étais la seule à mériter du pain."
  • Donner un court contexte : pourquoi j'étais là, d'où venait la personne rencontrée.
  • Finir par une petite leçon ou une sensation : ce que cette rencontre m'a imposé de voir différemment.
  • Ce format rend la lecture fluide et attachante, sans tomber dans la dissertation de voyage.

    Mettre en forme après le voyage

    Quand je reviens, je consacre quelques heures à mettre de l'ordre. Selon l'usage final — blog, carnet papier, cadeau — je choisis un format :

  • Un carnet manuscrit enrichi de collages (tickets, fleurs séchées).
  • Un carnet "hybride" : pages manuscrites + QR codes + impressions photo collées.
  • Un article de blog structuré avec photos et extraits d'enregistrements (j'intègre des extraits audio à l'aide de SoundCloud ou Anchor).
  • La mise en forme est aussi un moment de réappropriation : je relis, j'édite, je transforme des moments bruts en fragments parlants.

    Prendre soin de l'éthique

    Documenter, c'est aussi respecter. Je demande toujours la permission pour prendre des portraits ; si la réponse est non, je note plutôt la conversation et un détail qui rendra hommage à la personne sans l'exposer. Je veille à ne pas exotiser les vies que je traverse mais à chercher ce qui nous relie.

    Quelques exercices simples à pratiquer

  • Le défi des 10 images : choisis 10 photos du jour et écris une phrase par photo qui commence par "Je me souviens..."
  • La carte sonore : enregistre 3 sons qui caractérisent un lieu et associe une émotion à chacun.
  • La phrase qui reste : note chaque soir une phrase entendue — au bout d'une semaine tu auras un petit recueil très vivant.
  • Documenter un voyage n'est pas une performance ; c'est un exercice de présence. Le carnet devient alors une conversation avec soi, avec les autres et avec le temps. Quand j'ouvre mes carnets aujourd'hui, je ne vois pas seulement des images — je retrouve des voix, des odeurs, des gestes. Et ça, pour moi, vaut bien plus qu'un album parfaitement rangé.